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Le foyer lorrain au début du XVIIe siècle

15 novembre 2006

Conclusion

Ce creux de la vague, pendant lequel la France notamment ne présentait guère de centre artistique de premier plan, permit au Duché de Lorraine de devenir pour un temps, le foyer européen de la culture. En effet, durant ces années de prospérité, la Lorraine sut attirer les artistes par son ouverture sur les diverses influences européennes mais aussi et surtout par les débouchés que représentait un mécénat vivace . Ainsi, l’art lorrain reflète l’art européen du temps dans toute sa richesse et sa complexité. Il n’y a pas d’ »école lorraine du XVIIe siècle » mais bel et bien un foyer lorrain réceptif aux influences extérieures de son temps ; la Lorraine constituait véritablement une plaque tournante artistique au cœur de l’Europe. Le Duché entretenait des liens étroits avec Paris, sans ignorer les Pays-Bas et l’Empire, mais ne dépendant pourtant d’aucun autre centre. Dans son glorieux passé, l’art lorrain fut l’art d’un pays heureux, d’une cour élégante et d’une aristocratie cultivée se plaisant aux cérémonies et aux fêtes. Même si son éclat ne dura qu’un tiers de siècle, l’art lorrain nous offrit les plus beaux chefs-d’œuvre d’une période donnée dans un lieu donné. En appréciant un Tassel, un De La Tour ou encore un Deruet, il s’agit de rappeler hautement quel rôle joua jadis, dans un moment décisif pour l’histoire des arts comme pour celle de l’Europe, à sa mesure mais non pas au second rang, le Duché de Lorraine.

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15 novembre 2006

III- Trois peintres reconnus

a- JACQUES DE BELLANGE (vers 1575- 1616 Nancy) :
Bellange est un peintre polyvalent du maniérisme finissant, qui a aussi bien été décorateur des demeures ducales, portraitiste et graveur. Les dates de naissance et de ses oeuvres nous font défaut. Seul son: Ex Libris, est daté de 1613, ce fût d’ailleurs sa première gravure. Il s’agit d’une stèle où sont inscrits le nom et le titre du possesseur de l’œuvre, encadré par une Vierge à l’Enfant et  un Saint Nicolas.
Un artiste de cour :
     Un mandat du duc de Lorraine Charles III, datant du 23 octobre 1602 ; stipule qu’il a retenu l’artiste à son service. Il nomma Bellange « peintre officiel » alors que celui-ci était déjà engagé à la décoration du cabinet de la duchesse de Bourbon.
Il fût chargé de décorer l’arc de triomphe de l’hôtel de ville lors de l’arrivée à Nancy de la nouvelle épouse d’Henry II : Marguerite de Mantoue. Il lui confectionnera plus tard costumes, chars et machineries de ballets.
En 1606, ses peintures sont surtout consacrées aux portraits du duc.

L’œuvre de Bellange :
     Très peu d’archives mentionnent son Œuvre, qui était surtout d’inspiration religieuse. Bellange utilisait les mêmes techniques de gravures que ses contemporains : la sanguine, la pierre noire, la plume (à l’encre brune ou noire) et le lavis (à l’encre brune ou bleue).
Examinons plus en détail La Lamentation sur le Christ Mort, dite Pietà, huile sur toile, 1,15 X 1,75 cm, conservée à Saint- Petersbourg, au musée de l’Ermitage. Il s’agit d’une oeuvre présentant des maladresses. La peinture est lourde, la touche sommaire, et la composition juxtapose assez gauchement les têtes de l’arrière-plan. De plus il semble avoir peiné à joindre le torse et la cuisse du Christ.
Il existe un second exemplaire de cette œuvre prouvant qu’à cette époque en Lorraine, la même composition pouvait être reprise plusieurs fois et à des niveaux de qualités différents. Le duc faisait réaliser des répliques à prix réduits, il se pourrait donc que cette lamentation soit une copie.

De plus il existe un dessin qui nous rapproche de ce qu’a pu être le Bellange portraitiste, celui du Héros vainqueur, du Musée Condé de Chantilly : un portrait équestre du Baron d’Ancerville. Le geste est précieux, la main fine aux longs doigts est séparée du poignet par une surcharge de dentelles. Ce cavalier reflète la précision minutieuse avec laquelle Bellange réalisait ses costumes de fêtes ducales.
   Intéressons-nous dorénavant au  Ravissement de Saint-François, huile sur toile de 2,70 X 1,80m, peinte vers 1600-1605, et aujourd’hui exposée à Nancy au musée historique Lorrain.
Cette œuvre possède sur sa partie gauche des armoiries qui ont été rajoutée après. Ce sont celles de Charles III et de la duchesse Nicole. Le ravissement a souvent été déplacé et a sombré dans l’oubli. Il faut attendre la restauration des collections et du musée lorrain, (détruits en 1871 par un incendie) pour que cette œuvre réapparaisse. Le sujet du ravissement de saint François était courant au XVIIème siècle. Ici Bellange insiste beaucoup sur les plaies des cotes  et des mains. Il a reprit le schéma fréquent des stigmates du Christ.
Dans cette œuvre le ciel s’ouvre sur un chérubin.
Ce Ravissement de Saint- François est maniériste dans son fond, mais un maniérisme qui évoque plus l’Italie et le Nord. Effectivement, nous pouvons noter une certaine élégance dans les visages des anges voilés par leur chevelure bouclée et éclairés à contre- jour. De plus la composition est scandée d’obliques et de courbes à la facture et aux coloris très soignés. C’est un « concert de bleus, jaunes et rouges dans un ensemble sobre ».
     Il est intéressant de retenir que la majorité de l’œuvre de Bellange se résume à des estampes aux graphismes très variés.
Pour l’ange de son Annonciation, exposée à Nancy au Musée Lorrain, il montre toute la sensibilité de son art. L’artiste a traité la chair par un « pointillé » composé d’une multitude de minuscules griffures, tandis que dans les ailes le graphisme est plus large et appuyé. Quand au rendu des vêtements, « Bellange fait intervenir son velouté » dans la robe de la Vierge pour lui donner plus de souplesse. Aucun recourt à des inscriptions pour faire parler la Vierge n’est notable : « la parole est dans le geste ».
Bellange arrive par le biais de ses figures, à nous remettre en question, en capturant notre regard et notre esprit, et par là,  nous implique dans la scène. Son art est considéré comme visionnaire mais irréel, tant notre regard se perd dans les amas de formes et d’expressions.

b- GEORGES DE LA TOUR (Vic-sur-Seille 1593- Lunéville 1652)
De La Tour est un peintre renommé de son vivant, qui reçût de nombreuses commandes et travailla pour le Roi. Mais après sa mort, son œuvre peint fût oublié jusqu’à « l’exposition des Peintres de la Réalité » en 1934. On a longtemps cru que les tableaux de De La Tour avaient disparu, or ils étaient seulement attribués à d’autres artistes tels que les frères Le Nain par exemple. C’est le cas notamment du  Nouveau-Né
Cette œuvre fut remarquablement décrite par Hippolyte Taine en 1863 dans ces termes : « ce qui est absolument sublime, c’est un tableau hollandais, le Nouveau-Né, attribué à Lenain : deux femmes regardant un petit enfant de huit jours, endormi. Tout ce que la physiologie peut dire sur les commencements de l’homme est là! […] le front sans cheveux, les yeux sans cils, la lèvre inférieure rabaissée, le nez et la bouche ouverts, simples trous pour respirer l’air, la peau unie, luisante. […]La lèvre supérieure est retroussée ; il est tout entier à respirer. Le petit corps est collé et serré dans ses langes blancs raides comme dans une gaine de momie. Impossible de rendre mieux la profonde torpeur primitive, l’âme encore ensevelie. Le tout relevé par l’air borné de la mère, par le simplicité et la rudesse du rouge intense de son vêtement qui jette un chaud reflet sur ce petit bloc de chaire ronde. ». Ce n’est qu’en 1915 que Hermann Voss attribua cette œuvre à De La Tour.

Peintre ordinaire du Roi :
           Sa formation artistique et sa vie nous sont comme les autres inconnues. On sait qu’il vécu partagé entre les villes de Vic, Nancy et Lunéville. Les historiens s’accordent à penser que De la Tour a voyagé entre 1610 et 1616, soit aux Pays-Bas (due à ses influences artistiques nordiques), soit à Rome lors de sa formation, où il put se familiariser avec les œuvres du Caravage. En 1639 nous sommes sûr de son passage à Paris puisqu’il fût accueillit avec toute sa famille par Louis XIII  jusqu’en 1642, lorsqu’il fuit Lunéville. C’est à ce moment que le souverain le nomma « peintre ordinaire du Roy ». Lors de son voyage à Paris il reçut de nombreuses commandes du Maréchal de la Ferté ainsi que de Richelieu. Cela lui permit d’entrer dans les collections lorraines du XVIIème siècle, contrairement aux autres peintres caravagesques ignorés.
De la Tour est avant tout un peintre réaliste qui décrit la vie de tous les jours avec violence et cynisme. Il ne compatit pas avec la misère du peuple. Il analyse en témoin lucide, et s’il juge ce n’est pas pour condamner. Pour les nombreux mendiant, pauvres et vieillards qu’il peint, l’artiste reprèsente chaque veine et ride du visage. Il insiste sur les moindres détails pouvant caractériser leur misère. C’est le cas notamment de son Saint Thomas qui à l’air d’un paysan usé par le travaille. Si l’on s’intéresse à ses compositions les plus ambitieuses, Le tricheur et La Diseuse de bonne aventure, on remarque immédiatement un coloris éclatant. En effet les visages n’expriment rien, mais les jeux de mains et de regards en disent d’avantage.
Dans la Diseuse de bonne aventure, une des femmes baisse les yeux tandis que les trois autres, ont le regard fixé sur le riche jeune homme pendant qu’elles le dépouillent discrètement de leurs mains. Ici, on trouve un contraste  entre le travail silencieux, rapide et efficace des femmes, et le détachement du regard. Seul la victime a des gestes en accord avec son expression.
Un des tableaux les plus célèbres du peintre est Le tricheur à l’as de carreau, L’œuvre témoigne d’une grande originalité : d’une part par les jeux de regards des différents protagonistes ; et d’autre part par avec les gestes employés qui donnent un sens de lecture contradictoire. Nous avons un regard en coulisse de la servante qui verse à boire, un autre appuyé de la courtisane, un regard  complice du tricheur tourné vers le spectateur, pour finir par la tête de « benêt » du plus jeune. En fait ce dernier est doublement dupé puisque non seulement il se fait voler son argent, mais de plus cela se fait sous la tricherie des autres joueurs.

c- CLAUDE DERUET (1588-1660)
(Il y’a peu d’informations sur  cet artiste qui était pourtant majeur à cette période dans le duché, par l’étude d’une œuvre nous essayerons de vous donner quelques clés de lecture pour mieux appréhender son œuvre et de démontrer quel grand peintre de cour il était.)
Claude Deruet, natif de Nancy en 1588,  effectua une carrière exemplaire et fut apprécié de tous. Il possédait un vaste atelier. A son décès on recense plus de mille tableaux témoignant ainsi de son succès et de l’importance de sa clientèle. Fils d’un horloger ducal, il fait son apprentissage chez Jacques Bellange qui influença son œuvre. Il se rendit à Rome où il s’attira la bienveillance des Borghèse et de Paul V, puis de retour à Nancy il fut anoblit et devînt le peintre le plus important de la cour ducale. En 1633, l’artiste eut l’honneur de loger Louis XIII dans sa magnifique maison baptisée « la Romaine », la plus luxueuse de tout Nancy. Il réalisa d’ailleurs un portrait du roi Louis XIII puis il travailla ensuite pour Richelieu, pour qui il exécuta  Les quatre éléments, H/T, 1,128 sur 2,273 m., Orléans, Musée des Beaux-Arts.
              Les Quatre Eléments était destiné à orner le Cabinet de la Reine dans son château de Richelieu. Il fût exécuté en 1640 ; comme les trois autres éléments, l’Eau est un hymne à la gloire de la Famille Royale, de la France et du Cardinal. L’Eau, est construit selon un mode théâtrale avec un décor à l’arrière-plan et, dont les principaux protagonistes, présentés de profil, le visage tourné vers le spectateur, évoquent l’atmosphère de fêtes et de divertissements qui régnait à la cour. « Jeux, incidents, et rencontres, s’y succèdent au rythme de la promenade des courtisans évoluant dans des traîneaux sur la neige glacée. Quant à la famille Royale, elle est représentée sur un océan peuplé de divinités marines » dans un vaisseau apparaissant sur la gauche de la composition « portant la France sur sa proue, qui est telle une guerrière » tient une lance à la main. Derrière elle le Roi, assis, tient une épée dans sa main gauche et dans sa main droite «  une lance soutenant une oriflamme dédiée  à la Vierge, évoquant le Vœu de Louis XIII prononcé le 15 août 1637. »
Derrière le souverain, Anne d’Autriche portant Philippe de France ses genoux, enfin sur le château à l’arrière se trouve sur un trône le Dauphin.
A l’arrière plan, sur les marches du temple de la Gloire se tient le cardinal de Richelieu, rappelant à ce propos le rôle primordial qu’il eût dans le développement de la Marine française.
Dans le ciel, on trouve la Renommée annonçant par sa trompette les mérites et les exploits du souverain, à sa droite des angelots (« putti ») portant des couronnes et des branches de lauriers qui retiennent « le cordon et la croix de l’Ordre du Saint-Esprit, celui-ci étant figuré sous la forme d’une colombe dardant des rayons dans lesquelles apparaissent treize couronnes royales. »
           L’œuvre témoigne aussi d’une grande qualité naturaliste du paysage, qui démontre la connaissance que Claude Deruet  pouvait avoir de la peinture nordique. Rochers, paysage lointain et chevaux attelés du premier plan sont des éléments que l’on retrouve dans les gravures des artistes du Nord.
Deruet nous offre alors  dans cette œuvre une synthèse de la vie de cette époque, et s’affirme comme un grand peintre de la cour en nous transmettant le souvenir d’une période pleine de fastes.

15 novembre 2006

II- Formation, mécénats et caractéristiques

a- l’apprentissage des artistes lorrains
A l’aube du XVIIème siècle en lorraine, l’apprentissage des artistes n’est pas chose aisée. En effet, graveurs et peintres ont un statut social encore très proche de l’artisanat pour la plupart, et ne sont pas réunis dans un « han » particulier (sorte de confrérie). Un essai d’association fût tenter vers 1625 à Toul, terre française à une vingtaine de kilomètres de Nancy lorsque quelques peintres, sculpteurs et brodeurs demandant l’autorisation de l’évêque, formèrent une confrérie de Saint Luc, saint patron des artistes. Mais la confrérie touloise ne fonctionna pas et disparu aussitôt crée.
Par ailleurs, l’instruction des artistes fut d’autant plus difficile qu’avant la deuxième moitié du siècle, aucune école technique n’existait en lorraine. Il n’y avait pas non plus d’académie où les jeunes candidats, peintres et graveurs pouvaient recevoir une formation où se perfectionner. Il faut attendre 1702 pour qu’une académie de peinture et de sculpture soit créée sur le modèle français.
Il n’existait donc qu’une seule voie au début du XVIIe siècle : devenir apprenti chez un maître, unique manière de se former pour un futur peintre ou graveur. Le jeune homme ( pas de femme à cette période) était en général mis en apprentissage chez un maître connu de sa famille.
Comme ailleurs, les dynasties d’artistes étaient nombreuses en Lorraine. Beaucoup d’entre-elles étaient au service ducal. Notons que peu nombreux étaient des enfants nobles qui faisaient carrière dans ce milieu. Les rapports ducaux (ordonnances des 27 octobre 1556, 30 décembre 1585, etc) interdisaient régulièrement l’accès à la noblesse de se livrer à des actes « mécaniques, serviles, ou de roture » tel qu’ « hôtelier, cabaretier, artisan ». Peintres et autres artistes ne semblaient pas concernés, au contraire le duc récompensait et encourageait par l’anoblissement des artistes importants comme Jean Le Clerc ou Claude Deruet à demeurer dans le duché.
A propos de la formation du futur artiste, elle était quelquefois qualifiée de paternaliste. En effet, passant de sa famille dans celle de son maître, il subissait désormais l’autorité de celui-ci au lieu de celle de son père. Il est explicitement dit dans certains contrats d’apprentissage (très peu sont parvenus jusqu’à nous) que le maître devait non seulement enseigner son art au jeune apprenti mais encore l’éduquer afin de « se comporter en bon père ».
L’apprenti vivait dans l’intimité du maître, au milieu de sa famille et dans son atelier. Il le suivait au moindre déplacement. Ses tâches n’étaient pas seulement formatrices. Il servait à son maître de véritable laquais pour tout travail. Dans le même temps où il recevait les rudiments de son art, il lui servait de modèle, comme on peut le supposer des apprentis de La Tour.
Lorsque l’apprentissage était achevé, après trois ou quatre ans, vers l’âge de 20 ans, le jeune artiste faisait le voyage en Italie (tradition depuis le XVIé siècle). Ainsi il approfondissait plus qu’il ne découvrait l’art d’un pays qui demeurait encore un modèle ce domaine. Néanmoins l’artiste avait déjà pu prendre connaissance des œuvres étrangères grâce aux foires, aux collections ducale ou encore avec les œuvres décorant des églises, souvent peint par des artistes nordiques, français ou italiens. Ainsi Le Caravage et les Carrache étaient connus de leur vivant en Lorraine.   

b-     Un mécénat propice à la création artistique
Au tournant des XVIe et XVIIe siècles, la cité des Ducs de Lorraine s’est ouverte aux grands courants de pensées venus d’ailleurs ; ainsi, une soif de modernité anima l’imaginaire des artistes et ouvrit l’appétit des Grands. L’importante concentration d’artistes dans le foyer lorrain s’explique aisément par la présence d’une cour élégante et d’un mécénat pratiqué par les Ducs et grands Seigneurs mais aussi par une bourgeoisie active qui collectionnait les tableaux sans oublier les ordres religieux. En effet, rappelons-nous que nous sommes dans une société d’Ancien Régime et donc dans une organisation sociale fortement hiérarchisée fondée sur les ordres traditionnels. Ainsi, dans ce système structuré, utiliser des artistes est l’une des manifestations de la relation patron/artiste : réciproquement, les mécènes en retirent prestige et richesse et les artistes l’assurance d’une carrière et d’une possible renommée, donc d’une situation sociale. Le Prince de Vaudémont, pourtant éphémère Duc de Lorraine en 1624, s’avère un véritable mécène, commandant moult décors de fêtes, portraits et armoiries, notamment une Drôlerie façon des Flandres à Claude Henriet vers 1600. L’on peut considérer que cette période faste commence dans la décennie 1580 avec la création de la ville neuve de Nancy par le Duc Charles III. Grâce à cette impulsion ducale la Lorraine s’ouvrit sur l’Europe entière.
Au sein de Duché, les artistes travaillaient dans les principales villes telles Epinal, Pont-à-Mousson et sa célèbre université, ou encore Saint-Mihiel mais beaucoup tentèrent d’aller à Nancy après quelques années d’expérience. En effet sur les 260 peintres présents en Lorraine, la moitié se trouvaient dans la capitale. Ajoutons que l’on connaît le nom de 25 peintres ou graveurs étrangers, Français, Italiens ou Allemands qui tentèrent une installation à Nancy. La prééminence de la capitale n’en ressort  que plus. Si l’activité picturale était beaucoup plus intense à Nancy qu’ailleurs c’est que la capitale ducale réunissait des conditions privilégiées. Dans un premier temps, la présence des Ducs apparaît comme une raison majeure : l’art lorrain est d’abord un art de cour, avide de neuf et de spectaculaire. La prouesse héroïque est au cœur de cet univers aristocratique et visible dans les compositions surchargées de Deruet comme se tour de force qu’est L’ enlèvement des Sabines, huile sur toile, 114,8/186,5 cm, conservé à Munich, Alte Pinakothek. La contrepartie de cette préciosité avant la lettre est souvent un burlesque outrancier et décoratif comme des estampes de Bellange, Le joueur de Vielle ou La rixe des Mendiants. Ce goût de la chromique mondaine ou guerrière a favorisé une rare qualité d’observation et une prise en compte du détail vrai et piquant. Ainsi la présence des Ducs explique qu’en Lorraine une carrière honorable n’est possible qu’à Nancy. Celle de Georges De La Tour à Lunéville, faisant exception, s’explique par la concurrence de peintres connus dans l’entourage ducal lorsque De La Tour démarre sa carrière. De plus, la cour ducale, loin d’être hermétique, est ouverte sur l’Italie, notamment Florence et Mantoue, mais également sur la France et l’Empire grâce au jeu des alliances matrimoniales. C’est pourquoi la prédominance de Nancy n’empêche pas aux artistes de s’exercer ailleurs dans le Duché comme dans toute l’Europe. Nombreux sont les artistes comme Deruet, De La Tour ou Lallemant à faire le voyage à Rome ou à Paris. Néanmoins, le mécénat ducal ne détient pas le monopole des artistes, un peintre pouvant également recevoir des commandes privées. En effet, peintures et gravures sont répandues chez les particuliers. Quand à la noblesse, celle-ci conserve ses habitudes en privilégiant les tapisseries figurées à la peinture.
Quoi qu’il en soit, si le mécénat de Cour attire les artistes c’est bien que ceux-ci espèrent susciter des commandes et toucher une pension, car le Duc gage les peintres. Pourtant être gagé ne signifie pas la réussite. Les suppliques pour recevoir quelques aides ne sont pas rares puisque les artistes n’avaient pas l’assurance de recevoir des commandes. Dans le cas où il en obtient, le paiement est malheureusement bien souvent difficile à percevoir  une fois le travail achevé. De plus, le Trésorier général de Lorraine n’hésite pas à baisser les sommes dues de moitié voire de tiers. En outre il n’est pas rare que les gages soient réglés avec un retard de plusieurs années, surtout si les sommes sont importantes ; en 1616, 14000 francs sont versés à la mort de Bellange. Ainsi, il arrive que ce soit les héritiers qui les touchent, plusieurs années après la disparition de l’artiste.
Pour toutes ces raisons, les artistes se tournent vers un autre mécénat, car si l’impulsion ducale peut justifier une telle concentration d’artistes, le mécénat religieux ne l’explique que davantage. En effet, la majorité des artistes se tournent vers les monastères qui se multiplient par dizaine dès la fin du XVII e siècle. Dès 1580, le Duché devient le pays des Ligueurs dans la lutte contre la Réforme protestante.
• Portrait de Charles III, Duc de Lorraine et de son épouse Claude de France, Florence, Galleria Palatina, Palazzo Pitti.
Par sa situation  géopolitique, la Lorraine occupait une position de grande importance stratégique, à la pointe de la Réforme tridentine (Concile de Trente 1545-1583). Dans la lutte contre l’iconoclasme protestant, le fort développement de la vie monastique, dont l’activité principale est le catéchèse, est primordial : le rôle de l’image est réaffirmé licite face au point de vue protestant dès la première session du Concile (le 3 et 4 décembre 1563). De cette façon, la vigueur religieuse militante de la Lorraine, alors terre de catholicité, est à l’origine de plus de 110 maisons conventuelles et de la rénovation de beaucoup d’autres entre 1580 et 1633. Cet actif mécénat religieux donne l’occasion à plusieurs peintres de réaliser des décors nombreux et variés. Il n’est guère peintres qui n’aient participé à ces travaux.
La volonté de la Maison de Lorraine de se hisser au niveau des grandes familles régnantes d’Europe associée à la vigueur religieuse du contexte post-tridentin formèrent un mécénat vivace et attractif propice à l’éclat de la capitale ducale. En somme, la réunion de ces conditions exceptionnelles explique que la peinture lorraine connu sa période la plus brillante.

c-     Quelques caractéristiques essentielles
Si l’art lorrain fut si prolifique c’est bien grâce à une telle formation ouverte sur les goûts du moment. Ainsi, les artistes savaient répondre à la demande et satisfaire leur clientèle étendue. En effet, l’art lorrain est un art riche, riche d’influences et de références. L’exposition des Passions de l’âme au Musée des Augustins nous offre un parfait exemple avec les peintures de Tassel. Jean Tassel (1608-1667) représente la troisième génération d’une dynastie de peintres établie à Langres depuis le milieu du XVIe siècle, exactement comme d’autres nombreuses familles d’artistes de l’époque tels les Chupin (Médard, mort en 1580, Charles,mort en 1641, Nicolas en 1635), les Callot (Jean, mort en 1631, Jean II, Jacques, mort en 1635, Claude, en 1689 , Jean III en 1660), ou encore les Chaveneau (Claude, mort en 1624, Claude II en 1622, Jean en 1642 et François en 1660). La pérennité de ces familles assurent l’établissement d’une clientèle. Ainsi, le rayon d’action commercial des Tassel couvrait largement le Bassigny, la Champagne et la Bourgogne (jusqu’à Dijon, riche capitale de la province). Ceci explique la production abondante et souvent répétitive pour répondre à une clientèle acquise de longue date et attachée à des formules éprouvées ; production « répétitive » car in n’était pas rare que l’atelier familial des Tassel répète, dans des formats différents, ses créations. Prenons pour exemple  La Sainte Famille , œuvre exposée temporairement au Musée des Augustins et conservée au Musée Bossuet à Meaux : selon une description, la Sainte Famille est composée de trois figures de la Vierge, de l’Enfant Jésus, qui présente une pomme à Saint-Joseph.

Ce bon tableau est du pinceau de Tacet, peint sur toile de deux pieds sept pouces de hauteur sur deux pieds deux pouces de large, avec bordure en bois peint en gris ». Cette analyse du « bon tableau » apparaît dans l’inventaire des œuvres d’art trouvées dans les établissements religieux et chez les émigrés de Dijon, dressé vers 1793 par le peintre François Devosge ; jusqu’à la Révolution, le tableau se trouvait au couvent des Ursulines de la ville, fidèle clientèle des Tassel. De toute évidence la description est celle de la Sainte Famille de la collection Changeux, mais Henry Ronot à qui nous devons cette citation note justement que les dimensions ne correspondent pas. C’est pourquoi nous pouvons dire que la famille Tassel répétait ses créations en diverses tailles afin d’assouvir ses demandes. Par ailleurs, d’un point de vue moins formel, la Sainte Famille offre comme une quintessence de l’art tassalien et, bien plus, un parfait exemple pour nos caractéristiques de la peinture lorraine. En effet, dans cette œuvre comme dans les nombreuses autres Vierge à l’Enfant, l’influence de Raphaël ( 1483-1520) et du Titien (1488-1576) est manifeste. Cette influence est possible du fait de la présence attestée des Vierges à l’Enfant du maître vénitien dans les collections royales et gravées. Tassel semble vouer une admiration sans faille à Raphaël car les similitudes sont nombreuses, tant dans le procédé de composition avec la diagonale que dans le corps déhanché de l’Enfant ou dans le personnage de Saint Joseph, discret, presque en retrait. En ce sens la Sainte Famille se rapproche aisément de la Belle Jardinière ou encore de la Vierge au chardonneraie.
Comme son père Richard, mais aussi comme la plupart des peintres du temps, Jean Tassel avait fait le voyage d’Italie. Un document atteste la présence à Rome, en 1634, de « Giova[nni] Tasse franzese pit[tore], et nous savons que le peintre copiait dans la Ville,  peu ou prou à cette date, la Transfiguration de Raphaël de l’église San Pietro in Montorio. Néanmoins, si l’influence de Raphaël prédomine, on ne peut nier l’emprunt à des maîtres français comme Vouet ou De La Hyre. En effet, le style gracieux de la Marie qui retient un pan de tissu d’une main et s’accoude de l’autre est directement emprunté à l’élégance française. Ces références diverses montrent à quel point les artistes lorrains de cette première moitié du XVIIe siècle sont réceptifs à la vie artistique voisine. Outre ces emprunts italiens et français, Tassel à son propre style immédiatement reconnaissable : visage fin au nez pointu, petite bouche aux lèvres serrées, carnations pâles, contrastes de tons et couleurs vives, contours anguleux, corps massif et plantureux, on devine les cuisses musclées de la Vierge à travers le tissu… Tout cela finit par composer une poésie fort originale, facile à reconnaître et à goûter ; d’ailleurs les pommes, symboles du pêché originel, et le bâton, préfiguration de la croix, constituent autant de détails savoureux. Une autre œuvre est offerte à nos pupilles à l’exposition temporaire du Musée des Augustins, la Déploration du Christ, dit aussi Lamentation sur le Christ mort ou Pietà, également conservée au Musée de Meaux.

Son format réduit et le choix du cuivre ajoute à son caractère précieux. Une fois de plus Tassel semble s’être inspiré d’une composition connue et popularisée par la gravure du grand peintre parmesan du XVIe siècle, le Corrège (1489-1534), dont le tableau est dans l’église San Giovanni Evangelista de Parme. Les peintures illusionnistes du peintre italien eurent un grand écho dans l’art européen. Dans sa composition, Tassel a fait le choix d’un corps défait et torturé pour figurer le Christ, plutôt qu’une anatomie d’athlète triomphant. Jamais l’art de Jean Tassel n’a été si harmonieux et si souple. Ces œuvres sont importantes, d’une part pour comprendre l’art lorrain de cette période car elles attestent une volonté du peintre d’assimiler des tendances artistiques récentes, et d’autre part par leur style, témoin de la permanence d’une certaine aspiration.

15 novembre 2006

I- Le Duché de Lorraine et son foyer artistique

a- Historique de la Lorraine

     Pour bien mesurer l’importance du foyer lorrain au sein de l’Europe de ce début de XVIIe siècle, il convient de se tourner vers son passé. Dans un premier temps, retournons à l’époque carolingienne (781-987).La « lotharii regnum » ou lothargie, ancêtre de la Lorraine, était déjà une région stratégique car son tracé répondait à des réalités naturelles et humaines (reliefs, fleuves) qui firent d’elle un axe de communication intéressant. De plus, les conditions de sa création expliquent les aspects essentiels de la politique, de la création artistique et des opinions spirituelles des siècles suivants. En effet, véritable terre d’échanges, la Lorraine s’avère être un carrefour entre la Méditerranée et les Flandres, mais également un lieu de passage entre les deux possessions des Habsbourg d’Espagne (Franche-Comté et Pays-Bas), convoité et par la France et par l’Empire germanique. L’on comprend dès lors qu’elle constitue un enjeu d’ampleur. Plus tard, au Moyen-âge, dès 1048 précisément, la dignité ducale revient à Gérard de Châtenois dont les descendants règneront sept siècles sur le pays ; pour le XVIIe siècle, Charles III (1559-1608), Henri (1608-1624), François II (1624) et enfin Charles IV (1624-1675).
     D’autre part, en ce qui concerne l’organisation interne, la Lorraine était partagée entre terre ducale et évêchés qui se développent dès le Xe siècle. Ainsi, pour contrecarrer la puissance des dynasties princières, des rois germaniques s’appuyèrent sur l’Eglise et donnèrent aux Evêques des droits comtaux, tant dans leur ville épiscopale que dans le plat pays. C’est pourquoi les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, formèrent des enclaves indépendantes au sein du pays, donnant à la Lorraine un visage double et complexe, marqué par les contrastes. Situés sur les grandes routes commerciales, ces foyers de spiritualité entretenaient d’importantes relations avec le reste de l’Europe ; la bourgeoisie de robe et d’affaire y était reine, accueillant artistes et idées nouvelles. Au contraire, les Duchés gardèrent longtemps une structure sociale de type féodal, constituée de Seigneurs et de paysans, sans grands réseaux urbains, comme toutes sociétés d’Ancien Régime. Par ailleurs, du fait de sa fonction militaire et non commerciale, ce n’est seulement qu’au XVIIe siècle que Nancy prit son essor ; en effet il fallut attendre 1580 pour que Charles III entreprenne la reconstruction de la capitale ducale. Dès lors, ville neuve, elle attira de nombreuses industries de luxe, fer de lance de la Contre Réforme, elle abrita de nombreux couvents. Néanmoins, la Lorraine ducale ne s’ouvrit que tardivement à la Renaissance. Longtemps attachée à la tradition, y perduraient les brillantes fêtes de la cour célébrées au milieu des tournois, joutes, représentations théâtrales et vertus héroïques des temps passés, tandis que les Ducs défendaient la puissance de l’aristocratie en poursuivant une politique active d’anoblissement ainsi qu’en codifiant à l’extrême les relations avec la paysannerie.
     En somme, par ces différents points, le Duché ne restaient pas imperméable mais bien au contraire, il s’ouvrait sur l’extérieur et renforçait ses liens notamment avec la France. Culturellement, la Lorraine est sous l’influence du Royaume de France ; les centres urbains eux-mêmes étaient de langue française et entre 1550 et 1559, les trois évêchés sont réunis à la France ce qui assoit l’influence française dans le Duché. De 1559 à 1624, les règnes de Charles X et Henri II correspondent à l’éclat de la Lorraine. D’une part, sous le règne de Charles III (1559-1608), elle se rapproche des Guises, branche cadette des Ducs de Lorraine et ultra catholiques, et joue ainsi un rôle primordial dans la politique intérieure française. Après avoir observé dans un premier temps une politique de neutralité, le Duc Charles III s’engagea progressivement dans les Guerres de Religions : il se montra favorable à la Ligue Catholique qui tint sa première réunion à Nancy puis s’y rallia ouvertement en 1584, lorsqu’ Henri de Navarre fut devenu l’héritier présomptif de la couronne. Charles III esquissa même une candidature au trône de France auquel de complaisants généalogistes lui donnaient des droits comme descendant de Charlemagne. A sa mort, Charles III laisse son Duché dans un état florissant. D’autre part, à son avènement, Henri II voulu resserrer les bons rapports entre les Bourbons et la Lorraine. L’ère de prospérité entamée sous le règne de Charles III continuait ainsi sous celui d’Henri II (1608-1624) qui fait le bonheur de son peuple par la sagesse de son administration. Au cours du siècle, l’amélioration de la conjoncture politique, économique et démographique permit l’essor du Duché de Lorraine et créa les conditions favorables à l’épanouissement du foyer lorrain en cette première moitié du XVIIe siècle ; d’autant que les principaux artistes naquirent à l’aube de cet âge d’or : vers 1575, Lallemant et Bellange, 1587 Jean Le Clerc et Deruet, 1592 Jacques Callot, peu ou prou suivi de De La Tour…L’éclat de la Lorraine était patent.
     Néanmoins, à partir de 1620, des difficultés de divers ordres vinrent perturber la bonne santé du Duché. L’ère de prospérité s’achève pour un temps et les calamités que sont peste, famine et guerre s’unissent « pour faire un désert du plus beau pays de l’Europe ». Il faudra attendre les prémices du XVIIIe siècle pour la Renaissance d’un âge d’or artistique dans la Lorraine de Stanislas Leczinsky.

b- Les artistes majeurs
     On compte près d’environ 300 artistes lorrains à cette période. Bien sur tous n’étaient pas reconnus comme pouvait l’être par exemple Jacques Callot (1592-1635), Jacques Bellange (1575-1616), Rémond Constant ( ?-1657) ou encore Claude Deruet (vers 1588-1660), Georges Lallemant (1575-1636), Georges de La Tour (1593-1652), Le Lorrain (1600-1682) ou Jean Le Clerc ( 1587-1633).

     Le parcours de Jacques Callot fut exemplaire car il permet de bien comprendre comment les artistes à cette période se faisaient connaître. En effet c’était principalement grâce à un réseau dense de relations que les artistes réussissaient à se faire un nom.
Voyons comment s’est déroulé le parcours du célèbre graveur lorrain :
- Fils d’un héraut d’armes ducal, il entre le 16 janvier 1607 en apprentissage chez un orfèvre : l’entrée en apprentissage chez maître était un passage obligé.
- Ses quatre ans de formation écoulées, il se rend peu après en Italie pour approfondir ses connaissances et les mettre en application à la cour de Florence où la duchesse  était une fille du duc de Lorraine, et revient sans doute au printemps 1621.
- Connu, au centre d’un réseau étendu de relations, il trouve alors des commandes, cependant en petit nombre dans le cercle ducal, mais il obtient des commandes en dehors de la Lorraine. Pourtant il bénéficie de certains avantages octroyés par le duc (don de blé et d’un terrain à Nancy, droit de chasser)
- Il meurt dans une position sociale très élevée.
En effet l’apprentissage chez un maître, le voyage en Italie et l’ascension du statut social étaient choses communes chez les artistes lorrains de cette période. Qu’ils aient été graveurs, peintres, sculpteurs, ou musiciens, beaucoup d’artistes suivent une voie semblable à celle de l’illustre graveur, en recherchant à la fois réussite dans leur métier et ascension sociale.

     Si leur parcours se ressemblent souvent ce n’est pas pour autant que leur art l’est aussi. En effet, le foyer lorrain n’abrite pas un groupe de peintres attentifs aux mêmes problèmes et pratiquant un même style. On constate au contraire que Le Clerc s’applique à peindre autrement et autre chose que Deruet, que La Tour s’isole dans un style entièrement opposé et que Callot prend pour sa part le gravure et le dessin. On peut donc véritablement parler d’éclectisme artistique lorrain.

- Georges de La Tour, La diseuse de bonne aventure, huile sur toile, 102 sur 123cm, XVIIé siècle, Métropolitain museum of art, New-York.
Artiste qui a certainement travaillé au côté de Bellange à Nancy. Il a probablement fait un séjour aux Pays Bas ou en Italie. On remarque de fortes influences caravagesque . C’est un artiste qui connu une grande notoriété de son vivant. 

- Jacques CallotLe siège de Bréda, planche de cuivre gravée à l’eau forte correspondant à l’angle inférieur droit de la composition . 606 sur 474 mm. L’ensemble comprend en tout six planches. Dimensions totales 1770 sur 1455 mm. Nancy, musée historique lorrain.
C’est une gravure réalisée en Flandres lorsqu’il est appelé en 1625. Cette œuvre traduit ainsi les larges relations que les artistes lorrains pouvaient entretenir avec les pays voisins. De plus, notons que Jacques Callot représentait de nombreuses scènes d’histoires, des scènes de la vie quotidienne du duché de lorraine ( exemple la foire d’Impruneta de 1621),et quelques scènes religieuses.

- Jean Le Clerc, Adoration des bergers, huile sur toile, 232 sur 174 cm, Nancy, église Sain-Nicolas.
C’est un artiste dont la carrière et le style reste difficile à cerner. En 1621, il orna d’une grande composition la salle du conseil du Palais des Doges de Venise. De retour à Nancy, un an après, le duc lui délivra des lettres d’ennoblissement. On observe aussi dans ses œuvres une grande influence du caravage.

- Jacques de Bellange, Martyre de sainte Lucie, eau-forte, Paris, bibliothèque nationale.
Il effectua son voyage en Italie, c’est le peintre des ducs, il fut d’ailleurs au cœur de toutes les festivités. En 1609, il se rendit certainement à Fontainebleau voir la célèbre Galerie d’Ulysse du Primatrice. Son art traduit un monde d’élégance, de raffinement et de grâce, représentant parfaitement le maniérisme finissant.

- Georges Lallemant, Georges prompt à la soupe, huile sur toile, 111 sur  81 cm, Varsovie, Musée du Narodowe.
Il quitta très tôt la lorraine pour s’installer à Paris. Il réalisa de nombreuses commandes pour les églises de Paris et devient Peintre du roi en1621. Poussin, Champaigne, Laurent de la Hyre, fréquentèrent son atelier très renommé. Son art fut très influencé par le manièrisme de Lallemant mais se traduit aussi par des représentation de gueux, de paysans et de soldats.

c – Le reflet d’une ville prospère
Si  la peinture et la gravure tiennent une place importante au sein du foyer on peut aussi ajouter  « l’architecture éphémère ».
En effet, l’art en Lorraine au début du XVIIe siècle ne saurait être évoqué sans étudier le décor des fêtes et des cérémonies qui animaient la vie de la cour ducale.  Des artistes tels que Bellange ou Deruet travaillaient sur ces architectures éphémères.

Pour des tournois, des mariages, des pompes funèbres, des événements triomphales, les XVIe et XVIIe siècles eurent de nombreux décors éphémères surprenants par leur richesse ornementale mais aussi par leur rôle dans l’introduction des idées artistiques nouvelles. La lorraine brilla dans ce domaine là, citation d’un proverbe du XVIIe qui stipule « qu’il faut avoir assisté à au sacre d’un roi de France à Reims, au couronnement d’un empereur à Francfort et à l’enterrement d’un duc de Lorraine à Nancy, pour savoir ce qu’est une grande cérémonie.
C’est depuis le décès de René II (1508) que le principe du cérémonial se développa, voilà comment il se déroulait : une effigie du défunt était confectionnée pour être suspendue sur son lit de parade puis, le cœur et les entrailles étaient enlevés pour être déposés devant le maître-autel de l’église où avaient lieu les funérailles, ensuite il y avait un service religieux donné sur le chemin de la chapelle funéraire et enfin les dernières cérémonies avaient lieu dans l’église des Cordeliers de Nancy.
A chaque phase, à chaque étape correspondait un décor spécifique. Ainsi ces cérémonies et fêtes réclamaient des artistes. Peintres, architectes, sculpteurs étaient appelés à créer des décors éphémères, démontables, en bois, en stuc, en toile, et de nombreux artisans.
En plus des décorations qui nécessitaient de nombreux artistes, la cour réclamait des artistes devant immortaliser le souvenir de ces fêtes par des gravures et des récits, c’est évidemment grâce à cela que ces fêtes sont connus aujourd’hui.
Mais ces décors ne signifiaient pas seulement « des rites princiers, des pratiques aristocratiques devant le mariage et le mort, des signes de soumission des villes (entrées triomphales) »,  ces décors révélaient l’influence de la modernité architecturale venue d’Italie. C’est ainsi que le paysage sera artificiellement et ponctuellement modernisé, par des décors éphémères qui transformeront provisoirement, la ville lors des « entrées ». Il faut véritablement comprendre ces décors comme un moyen de montrer que la cour est à la mode , en masquant les façades anciennes ( de style gothique flamboyant et Renaissance).
Bellange aurait activement participé à la décoration des fêtes ducales. En effet lorsque Catherine de Bourbon décède en 1604, Henri épouse 2ans plus tard Marguerite de Mantoue. Pour accueillir cette dernière à Nancy on éleva une décoration éphémère et Bellange eu la responsabilité d’orner l’arc de triomphe de l’hôtel de ville. Des galeries en bois furent montées devant le Palais ducal. Un portique à deux étages (d’ordres dorique et ionique superposés) était installé devant les maisons à cacher. Grâce à la série de Jardinières, dessinées et gravées on peut se faire une idée des costumes lors de ces fêtes ainsi que de la richesses des tissus et des rubans d’autrefois.
Lorsqu’ Henri II devient duc en 1609, le sculpteur Siméon Drouin fabriqua une « entrée triomphante » faite d’arcades et de galeries « modernes ».
Pour l’entrée de duc Charles IV en 1626, ce sont Drouin et Jean de La Hière (formé en Italie) qui édifient un arc de triomphe, des pyramides et une fontaine représentant Hercule.  C’est le goût pour l’antique qui triomphe.

C’est une véritable quête du « Beau Idéal » que la cour recherche , l’ illustration de  Jacques Callot, Parterre du Palais de Nancy, dédié à Madame de la Duchesse de Lorraine, gravure (détail), ci-dessous, s’accorde à cette idée puisque Callot se sert de la magie de la représentation pour transformer les jardins de la cour de manière idéale.

15 novembre 2006

Introduction

« Après la mort de son père, Gérard Richier revint à Saint-Mihiel prendre la tête d’un foyer très actif » écrit P.Chone dans l’Encyclopédie illustrée de la Lorraine, à l’article sur la vie artistique. Ainsi, la Lorraine est considérée comme un foyer artistique vivace au tournant du XVIe siècle, c'est-à-dire un lieu où se manifeste d’abord puis d’où se répand, où se concentre et d’où se diffuse une activité intense. D’ores et déjà la Lorraine semble se distinguer par sa dynamique artistique. Selon la conjoncture «économique et politique du premier tiers du XVIIe siècle, alors que la France ne présente guère de centre artistique de premier plan, il en est tout autre pour la Lorraine où foisonne une communauté d’artistes. En effet, les conflits qui agitent l’Europe à cette époque ne permettent pas à Paris de conserver sa place de grande capitale artistique, tandis qu’à la frontière, le Duché de Lorraine entame une période prospère. « Etat libre et non incorporable » depuis 1542, elle jouit alors de conditions propices  et attrayantes pour les artistes. De plus, sa situation géographique préfigure aisément ce rôle de « foyer d’émission » puisque non seulement la Lorraine partage ses frontières avec la France et l’Allemagne mais elle se situe également dans l’axe de l’Italie où Rome fascine tous les artistes. Cette position éminemment stratégique au coeur de l’Europe est un atout de taille qui fait du Duché une véritable terre de rencontres. C’est donc par contraste, alors qu’en France l’absence de centre artistique se ressent, que la Lorraine brûle de curiosité intellectuelle et puise ses influences partout ailleurs pour que fleurisse en son sein une culture picturale. Dans quelles mesures le foyer lorrain joua t’il un rôle dans la vie artistique du moment en cette première moitié du XVIIe siècle ?
Pour étudier le sujet, il apparaît trois axes complémentaires :
Dans un premier nous nous pencherons sur l’histoire du Duché afin que son glorieux passé nous éclaire sur la naissance d’un foyer artistique.
Puis nous nous intéresserons au mécénat ainsi qu’à la formation des artistes lorrains.
Enfin, dans un troisième et dernier temps nous partirons à la rencontre de trois artistes lorrains majeurs mais aussi de trois parcours typiques des peintres du temps, Bellange, De La Tour et Deruet.

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