a- Historique de la Lorraine
Pour bien mesurer l’importance du foyer lorrain au sein de l’Europe de ce début de XVIIe siècle, il convient de se tourner vers son passé. Dans un premier temps, retournons à l’époque carolingienne (781-987).La « lotharii regnum » ou lothargie, ancêtre de la Lorraine, était déjà une région stratégique car son tracé répondait à des réalités naturelles et humaines (reliefs, fleuves) qui firent d’elle un axe de communication intéressant. De plus, les conditions de sa création expliquent les aspects essentiels de la politique, de la création artistique et des opinions spirituelles des siècles suivants. En effet, véritable terre d’échanges, la Lorraine s’avère être un carrefour entre la Méditerranée et les Flandres, mais également un lieu de passage entre les deux possessions des Habsbourg d’Espagne (Franche-Comté et Pays-Bas), convoité et par la France et par l’Empire germanique. L’on comprend dès lors qu’elle constitue un enjeu d’ampleur. Plus tard, au Moyen-âge, dès 1048 précisément, la dignité ducale revient à Gérard de Châtenois dont les descendants règneront sept siècles sur le pays ; pour le XVIIe siècle, Charles III (1559-1608), Henri (1608-1624), François II (1624) et enfin Charles IV (1624-1675).
D’autre part, en ce qui concerne l’organisation interne, la Lorraine était partagée entre terre ducale et évêchés qui se développent dès le Xe siècle. Ainsi, pour contrecarrer la puissance des dynasties princières, des rois germaniques s’appuyèrent sur l’Eglise et donnèrent aux Evêques des droits comtaux, tant dans leur ville épiscopale que dans le plat pays. C’est pourquoi les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, formèrent des enclaves indépendantes au sein du pays, donnant à la Lorraine un visage double et complexe, marqué par les contrastes. Situés sur les grandes routes commerciales, ces foyers de spiritualité entretenaient d’importantes relations avec le reste de l’Europe ; la bourgeoisie de robe et d’affaire y était reine, accueillant artistes et idées nouvelles. Au contraire, les Duchés gardèrent longtemps une structure sociale de type féodal, constituée de Seigneurs et de paysans, sans grands réseaux urbains, comme toutes sociétés d’Ancien Régime. Par ailleurs, du fait de sa fonction militaire et non commerciale, ce n’est seulement qu’au XVIIe siècle que Nancy prit son essor ; en effet il fallut attendre 1580 pour que Charles III entreprenne la reconstruction de la capitale ducale. Dès lors, ville neuve, elle attira de nombreuses industries de luxe, fer de lance de la Contre Réforme, elle abrita de nombreux couvents. Néanmoins, la Lorraine ducale ne s’ouvrit que tardivement à la Renaissance. Longtemps attachée à la tradition, y perduraient les brillantes fêtes de la cour célébrées au milieu des tournois, joutes, représentations théâtrales et vertus héroïques des temps passés, tandis que les Ducs défendaient la puissance de l’aristocratie en poursuivant une politique active d’anoblissement ainsi qu’en codifiant à l’extrême les relations avec la paysannerie.
En somme, par ces différents points, le Duché ne restaient pas imperméable mais bien au contraire, il s’ouvrait sur l’extérieur et renforçait ses liens notamment avec la France. Culturellement, la Lorraine est sous l’influence du Royaume de France ; les centres urbains eux-mêmes étaient de langue française et entre 1550 et 1559, les trois évêchés sont réunis à la France ce qui assoit l’influence française dans le Duché. De 1559 à 1624, les règnes de Charles X et Henri II correspondent à l’éclat de la Lorraine. D’une part, sous le règne de Charles III (1559-1608), elle se rapproche des Guises, branche cadette des Ducs de Lorraine et ultra catholiques, et joue ainsi un rôle primordial dans la politique intérieure française. Après avoir observé dans un premier temps une politique de neutralité, le Duc Charles III s’engagea progressivement dans les Guerres de Religions : il se montra favorable à la Ligue Catholique qui tint sa première réunion à Nancy puis s’y rallia ouvertement en 1584, lorsqu’ Henri de Navarre fut devenu l’héritier présomptif de la couronne. Charles III esquissa même une candidature au trône de France auquel de complaisants généalogistes lui donnaient des droits comme descendant de Charlemagne. A sa mort, Charles III laisse son Duché dans un état florissant. D’autre part, à son avènement, Henri II voulu resserrer les bons rapports entre les Bourbons et la Lorraine. L’ère de prospérité entamée sous le règne de Charles III continuait ainsi sous celui d’Henri II (1608-1624) qui fait le bonheur de son peuple par la sagesse de son administration. Au cours du siècle, l’amélioration de la conjoncture politique, économique et démographique permit l’essor du Duché de Lorraine et créa les conditions favorables à l’épanouissement du foyer lorrain en cette première moitié du XVIIe siècle ; d’autant que les principaux artistes naquirent à l’aube de cet âge d’or : vers 1575, Lallemant et Bellange, 1587 Jean Le Clerc et Deruet, 1592 Jacques Callot, peu ou prou suivi de De La Tour…L’éclat de la Lorraine était patent.
Néanmoins, à partir de 1620, des difficultés de divers ordres vinrent perturber la bonne santé du Duché. L’ère de prospérité s’achève pour un temps et les calamités que sont peste, famine et guerre s’unissent « pour faire un désert du plus beau pays de l’Europe ». Il faudra attendre les prémices du XVIIIe siècle pour la Renaissance d’un âge d’or artistique dans la Lorraine de Stanislas Leczinsky.
b- Les artistes majeurs
On compte près d’environ 300 artistes lorrains à cette période. Bien sur tous n’étaient pas reconnus comme pouvait l’être par exemple Jacques Callot (1592-1635), Jacques Bellange (1575-1616), Rémond Constant ( ?-1657) ou encore Claude Deruet (vers 1588-1660), Georges Lallemant (1575-1636), Georges de La Tour (1593-1652), Le Lorrain (1600-1682) ou Jean Le Clerc ( 1587-1633).
Le parcours de Jacques Callot fut exemplaire car il permet de bien comprendre comment les artistes à cette période se faisaient connaître. En effet c’était principalement grâce à un réseau dense de relations que les artistes réussissaient à se faire un nom.
Voyons comment s’est déroulé le parcours du célèbre graveur lorrain :
- Fils d’un héraut d’armes ducal, il entre le 16 janvier 1607 en apprentissage chez un orfèvre : l’entrée en apprentissage chez maître était un passage obligé.
- Ses quatre ans de formation écoulées, il se rend peu après en Italie pour approfondir ses connaissances et les mettre en application à la cour de Florence où la duchesse était une fille du duc de Lorraine, et revient sans doute au printemps 1621.
- Connu, au centre d’un réseau étendu de relations, il trouve alors des commandes, cependant en petit nombre dans le cercle ducal, mais il obtient des commandes en dehors de la Lorraine. Pourtant il bénéficie de certains avantages octroyés par le duc (don de blé et d’un terrain à Nancy, droit de chasser)
- Il meurt dans une position sociale très élevée.
En effet l’apprentissage chez un maître, le voyage en Italie et l’ascension du statut social étaient choses communes chez les artistes lorrains de cette période. Qu’ils aient été graveurs, peintres, sculpteurs, ou musiciens, beaucoup d’artistes suivent une voie semblable à celle de l’illustre graveur, en recherchant à la fois réussite dans leur métier et ascension sociale.
Si leur parcours se ressemblent souvent ce n’est pas pour autant que leur art l’est aussi. En effet, le foyer lorrain n’abrite pas un groupe de peintres attentifs aux mêmes problèmes et pratiquant un même style. On constate au contraire que Le Clerc s’applique à peindre autrement et autre chose que Deruet, que La Tour s’isole dans un style entièrement opposé et que Callot prend pour sa part le gravure et le dessin. On peut donc véritablement parler d’éclectisme artistique lorrain.
- Georges de La Tour, La diseuse de bonne aventure, huile sur toile, 102 sur 123cm, XVIIé siècle, Métropolitain museum of art, New-York.
Artiste qui a certainement travaillé au côté de Bellange à Nancy. Il a probablement fait un séjour aux Pays Bas ou en Italie. On remarque de fortes influences caravagesque . C’est un artiste qui connu une grande notoriété de son vivant.
- Jacques Callot, Le siège de Bréda, planche de cuivre gravée à l’eau forte correspondant à l’angle inférieur droit de la composition . 606 sur 474 mm. L’ensemble comprend en tout six planches. Dimensions totales 1770 sur 1455 mm. Nancy, musée historique lorrain.
C’est une gravure réalisée en Flandres lorsqu’il est appelé en 1625. Cette œuvre traduit ainsi les larges relations que les artistes lorrains pouvaient entretenir avec les pays voisins. De plus, notons que Jacques Callot représentait de nombreuses scènes d’histoires, des scènes de la vie quotidienne du duché de lorraine ( exemple la foire d’Impruneta de 1621),et quelques scènes religieuses.
- Jean Le Clerc, Adoration des bergers, huile sur toile, 232 sur 174 cm, Nancy, église Sain-Nicolas.
C’est un artiste dont la carrière et le style reste difficile à cerner. En 1621, il orna d’une grande composition la salle du conseil du Palais des Doges de Venise. De retour à Nancy, un an après, le duc lui délivra des lettres d’ennoblissement. On observe aussi dans ses œuvres une grande influence du caravage.
- Jacques de Bellange, Martyre de sainte Lucie, eau-forte, Paris, bibliothèque nationale.
Il effectua son voyage en Italie, c’est le peintre des ducs, il fut d’ailleurs au cœur de toutes les festivités. En 1609, il se rendit certainement à Fontainebleau voir la célèbre Galerie d’Ulysse du Primatrice. Son art traduit un monde d’élégance, de raffinement et de grâce, représentant parfaitement le maniérisme finissant.
- Georges Lallemant, Georges prompt à la soupe, huile sur toile, 111 sur 81 cm, Varsovie, Musée du Narodowe.
Il quitta très tôt la lorraine pour s’installer à Paris. Il réalisa de nombreuses commandes pour les églises de Paris et devient Peintre du roi en1621. Poussin, Champaigne, Laurent de la Hyre, fréquentèrent son atelier très renommé. Son art fut très influencé par le manièrisme de Lallemant mais se traduit aussi par des représentation de gueux, de paysans et de soldats.
c – Le reflet d’une ville prospère
Si la peinture et la gravure tiennent une place importante au sein du foyer on peut aussi ajouter « l’architecture éphémère ».
En effet, l’art en Lorraine au début du XVIIe siècle ne saurait être évoqué sans étudier le décor des fêtes et des cérémonies qui animaient la vie de la cour ducale. Des artistes tels que Bellange ou Deruet travaillaient sur ces architectures éphémères.
Pour des tournois, des mariages, des pompes funèbres, des événements triomphales, les XVIe et XVIIe siècles eurent de nombreux décors éphémères surprenants par leur richesse ornementale mais aussi par leur rôle dans l’introduction des idées artistiques nouvelles. La lorraine brilla dans ce domaine là, citation d’un proverbe du XVIIe qui stipule « qu’il faut avoir assisté à au sacre d’un roi de France à Reims, au couronnement d’un empereur à Francfort et à l’enterrement d’un duc de Lorraine à Nancy, pour savoir ce qu’est une grande cérémonie.
C’est depuis le décès de René II (1508) que le principe du cérémonial se développa, voilà comment il se déroulait : une effigie du défunt était confectionnée pour être suspendue sur son lit de parade puis, le cœur et les entrailles étaient enlevés pour être déposés devant le maître-autel de l’église où avaient lieu les funérailles, ensuite il y avait un service religieux donné sur le chemin de la chapelle funéraire et enfin les dernières cérémonies avaient lieu dans l’église des Cordeliers de Nancy.
A chaque phase, à chaque étape correspondait un décor spécifique. Ainsi ces cérémonies et fêtes réclamaient des artistes. Peintres, architectes, sculpteurs étaient appelés à créer des décors éphémères, démontables, en bois, en stuc, en toile, et de nombreux artisans.
En plus des décorations qui nécessitaient de nombreux artistes, la cour réclamait des artistes devant immortaliser le souvenir de ces fêtes par des gravures et des récits, c’est évidemment grâce à cela que ces fêtes sont connus aujourd’hui.
Mais ces décors ne signifiaient pas seulement « des rites princiers, des pratiques aristocratiques devant le mariage et le mort, des signes de soumission des villes (entrées triomphales) », ces décors révélaient l’influence de la modernité architecturale venue d’Italie. C’est ainsi que le paysage sera artificiellement et ponctuellement modernisé, par des décors éphémères qui transformeront provisoirement, la ville lors des « entrées ». Il faut véritablement comprendre ces décors comme un moyen de montrer que la cour est à la mode , en masquant les façades anciennes ( de style gothique flamboyant et Renaissance).
Bellange aurait activement participé à la décoration des fêtes ducales. En effet lorsque Catherine de Bourbon décède en 1604, Henri épouse 2ans plus tard Marguerite de Mantoue. Pour accueillir cette dernière à Nancy on éleva une décoration éphémère et Bellange eu la responsabilité d’orner l’arc de triomphe de l’hôtel de ville. Des galeries en bois furent montées devant le Palais ducal. Un portique à deux étages (d’ordres dorique et ionique superposés) était installé devant les maisons à cacher. Grâce à la série de Jardinières, dessinées et gravées on peut se faire une idée des costumes lors de ces fêtes ainsi que de la richesses des tissus et des rubans d’autrefois.
Lorsqu’ Henri II devient duc en 1609, le sculpteur Siméon Drouin fabriqua une « entrée triomphante » faite d’arcades et de galeries « modernes ».
Pour l’entrée de duc Charles IV en 1626, ce sont Drouin et Jean de La Hière (formé en Italie) qui édifient un arc de triomphe, des pyramides et une fontaine représentant Hercule. C’est le goût pour l’antique qui triomphe.
C’est une véritable quête du « Beau Idéal » que la cour recherche , l’ illustration de Jacques Callot, Parterre du Palais de Nancy, dédié à Madame de la Duchesse de Lorraine, gravure (détail), ci-dessous, s’accorde à cette idée puisque Callot se sert de la magie de la représentation pour transformer les jardins de la cour de manière idéale.